Jurascic – SCIC Energies des Citoyens est une société coopérative qui investit, par le biais du financement citoyen, dans des projets d’énergies renouvelables en Bourgogne Franche Comté. J’ai accompagné récemment cette SCIC, avec Hervé Gouil, coopérateur de La Manufacture Coopérative, dans la clarification de son modèle de développement et de son modèle économique. Je fais retour ici sur quelques réflexions liées à cet accompagnement. Le site internet de Jurascic est en commentaire.

Les ENR Citoyennes ou comment « tenir » différentes dimensions

Ce projet remarquable porte une quadruple exigence, dans une approche globale de développement local :

• une exigence écologique, en oeuvrant directement à une transformation des manières de produire et consommer de l’énergie, par la construction, l’achat et l’exploitation d’infrastructures d’énergies renouvelables sur un territoire (photovoltaïque, éolien) ;
• une exigence citoyenne, en sensibilisant les citoyens aux enjeux de la transition énergétique, et en organisant leur mobilisation active via notamment les clubs d’investisseurs locaux. Entre volonté de placer « intelligemment » son épargne et volonté de participer à la gestion d’un projet collectif pour son territoire, les ressorts de l’engagement citoyen peuvent varier mais sont consubstanciels au projet, ce qui le différencie d’autres démarches de production d’ENR ;
• une exigence économique, sous-tendue par un processus de production complexe, (repérage d’opportunités foncières, études préalables, montage technico-financiers, construction des équipements, gestion et exploitation…), dans un modèle économique robuste mais exigent, puisqu’il repose sur une rentabilité différée des investissements initiaux conséquents (par la vente de l’énergie). Il s’appuie par ailleurs sur une finalité non spéculative et une redistribution limitée des bénéfices ;
• une exigence territoriale, relative à l’appropriation et l’acceptation sociale des projets, l’élaboration d’assemblages locaux garants d’une gouvernance locale pérenne, facilitant l’ancrage de projets qui restent encore novateurs et marginaux.

Le projet JURASCIC Energies citoyennes s’inscrit pleinement dans l’esprit de la Charte d’Énergie Partagée et dans la dynamique des projets citoyens et participatifs en France. La carte collaborative élaborée par Énergie Partagée en recense 308 fin 2018, soit presque le double qu’en 2015 (163 projets), et l’intérêt de ces modèles a été récemment reconnu par la directive européenne sur les énergies renouvelables (décembre 2018).

Quelques réflexions suite à cet accompagnement mené cinq mois durant :

Retour sur l’accompagnement

Clarification des enjeux de travail : identifier les questions « puissantes »

Nous sommes parvenus par le travail collectif, à clarifier et hiérarchiser les questions clé d’une structure foisonnante et qui est en mouvement permanent, ayant une forte capacité de conceptualisation et très assise sur ses valeurs. Nous avons, retour d’expériences à l’appui, levé quelques impasses notamment sur de « fausses bonnes idées de revenus complémentaires », précisé et fait partager un modèle de développement axé sur le développement d’un portefeuille de projets d’ENR. Nous avons précisé l’approche fonctionnelle du projet et ses évolutions possibles à 3 ans, repéré des pistes de financement pour soutenir le développement de nouveaux projets… Bref, un apport fait de maïeutique pour soutenir le dialogue une culture militante et une culture plus entrepreneuriale au sein du collectif, et d’expertise sur certaines questions, un rôle de catalyse et reformulation, de repérage de ressources extérieures utiles au projet.

Dans les organisations complexes et multidimensionnelles, surtout quand elles sont réflexives, il est tentant de tout vouloir pointer comme étant possiblement en mouvement et perfectible ( l’offre de service, la gouvernance, le cibles clients, les alliances partenariales..;). Trop d’intentions de travail au départ risque de brouiller les pistes : il importe de prioriser la réflexion sur quelques enjeux clé, en prenant le temps nécessaire, à l’occasion d’exercices d’expression créative, de nommer et de qualifier les « questions puissantes » à traiter. Ces clarifications sur les besoins prioritaires et leur hiérarchisation m’apparaissent de plus en plus comme essentiels à la qualité du travail collectif conduit après.

Approche fonctionnelle des organisations

L’approche fonctionnelle des organisations risque parfois d’être un peu mise de côté. Dans les organisations très portées par leurs valeurs, l’attention se porte plus naturellement sur le « quoi faire et pour quoi faire » plus que sur le « comment faire ? » Il y a un équilibre à trouver entre l’effort à porter sur la stratégie, et le travail sur l’organisation et les fonctions. Le croisement des deux interroge l’adéquation entre les ambitions et la capacité à faire. C’est dans cet équilibre, à requestionner régulièrement, que peuvent se trouver des voies de progrès réalistes, et une feuille de route à conduire par étape. Poser un regard objectif sur les fonctions et compétences requises au sein de l’organisation (existantes, à consolider ou à créer), est une étape précieuse pour définir un chemin critique de développement soutenable pour tous.tes.

Maturité coopérative et valeur de la coopération

L’entreprise coopérative, a fortiori une SCIC, est un cadre privilégié pour créer des liens entre des compétences diverses mobilisées sur un même enjeu de développement. Cela suppose aussi de travailler sur la « maturité coopérative », c’est à dire sur l’enjeu d’organiser dans un temps long et sur des bases sereines la COOPERATION. La coopération est cette capacité à construire des échanges réciproques, équilibrés au service de la réalisation d’une oeuvre commune et utile (Co-opérer). Jurascic porte une vraie compétence dans ce domaine et nous avons vérifié combien les fonctions de portage et d’animation transversale pour faire vivre cette coopération sont essentielles.

Offre de service territoriale versus effets utiles pour le territoire

Mais je constate que souvent, la valeur d’un projet territorial est reconnu principalement à travers l’offre de service qu’il apporte au territoire. Les effets utiles générés par la coopération elle-même et les processus de travail qui la sous-tendent, telles la confiance, l’acculturation des citoyens à de nouvelles approches et l’implication citoyenne, la gestion par les communs, l’innovation créative… sont insuffisamment intégrés et nommés. Ces éléments sont plus considérés comme des externalités positive des projets que comme des éléments de valeur à part entière.

Récit territorial alternatif

Jurascic Energies des Citoyens incarne très bien ce que peut être un projet local porteur d’un récit nouveau en matière de transition énergétique, par delà le récit dominant, qui apporte des alternatives tant dans sa vision et son offre de service territoriale que dans sa méthode. Celle-ci repose sur des assemblages intelligents pour créer et structurer, dans chaque nouveau territoire et pour chaque nouveau projet d’ENR, un écosystème territorial associant citoyens, collectivités locales, SEM, collectif citoyens, habitants. L’une des grandes valeurs du projet tient aussi à cela.

Bravo JURASCIC et grand merci à vous !

Par Isabelle Chenevez, le 05 févrirer 2021